gravure1800chant3

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gravure1800chant3 [2017/05/23 13:59] Timothée Léchotgravure1800chant3 [2017/05/23 22:59] Timothée Léchot
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 ===== Un phénomène de réception double ===== ===== Un phénomène de réception double =====
  
 +Cependant, l'image de Guérin **enrichit l'interprétation du poème** en ajoutant des éléments absents du texte. Delille ne mentionne en effet ni le cadre montagneux, ni le second personnage de la scène. Pour comprendre la gravure, il faut la confronter à l’œuvre de Rousseau et à la tradition iconographique liée à l’œuvre de celui-ci, ainsi qu'à sa personne.
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 +L'épisode de la pervenche se trouve au sixième livre des //Confessions//. Rousseau le raconte en deux temps. Il évoque d'abord d'anciennes promenades avec Madame de Warens, celle qu'il appelle affectueusement "maman"\ :
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 +Le prémier jour que nous allames coucher aux Charmettes, maman étoit en chaise à porteurs, et je la suivois à pied. Le chemin monte, elle étoit assez pesante, et craignant de trop fatiguer ses porteurs, elle voulut descendre à peu près à moitié chemin pour faire le reste à pied. En marchant elle vit quelque chose de bleu dans la haye et me dit\ : voila de la pervenche encore en fleur. Je n'avois jamais vû de la pervenche, je ne me baissai pas pour l'examiner, et j'ai la vue trop courte pour distinguer à terre les plantes de ma hauteur. Je jettai seulement en passant un coup d’œil sur celle-là, et près de trente ans se sont passés sans que j'aye revû de la pervenche, ou que j'y aye fait attention[(Jean-Jacques Rousseau, //Les Confessions. Autres textes autobiographiques//, Bernard Gagnebin, Robert Osmont, Marcel Raymond (éd.), Paris, Gallimard, "Bibliothèque de la Pléiade", 1959, p. 226.)].
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 +Une trentaine d'années plus tard, Rousseau trouve de la pervenche lors d'une promenade en Suisse, avec son ami Pierre-Alexandre DuPeyrou (1729-1794). C'est le passage mentionné par Delille et illustré par Guérin\ :
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 +En 1764 étant à Cressier avec mon ami M. du Peyrou, nous montions une petite montagne au sommet de laquelle il a un joli salon qu'il appelle avec raison Belle-vue. Je commençois alors d'herboriser un peu. En montant et regardant parmi les buissons je pousse un cri de joye\ : //ah voila de la pervenche\ ;// et c'en étoit en effet. Du Peyrou s'apperçut du transport, mais il en ignoroit la cause\ ; il l'apprendra, je l'espére lorsqu'il lira ceci. Le lecteur peut juger par l'impression d'un si petit objet de celle que m'ont fait tous ceux qui se rapportent à la même époque[(//Ibid.//)].
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 +Madeleine de Proust avant l'heure, la pervenche de Rousseau a probablement contribué au succès du motif de la fleur bleue dans la littérature occidentale[(Voir Claire Jaquier, "La pervenche\ : une fleur bleue", in Claire Jaquier, Timothée Léchot (dir.), //Rousseau botaniste. "Je vais devenir plante moi-même." Recueil d'articles et catalogue d'exposition//, Fleurier, Pontarlier, Éditions du Belvédère, 2012, p. 97-112.)]. L'image de Guérin se situe donc à l'intersection de deux réceptions d’œuvres littéraires\ : //Les Confessions// et //L'Homme des champs//. Grâce à ce croisement, on sait que le second personnage de la gravure figure le riche négociant neuchâtelois DuPeyrou et que le paysage de l'arrière-plan est celui de la région de Cressier, sur le versant suisse du Jura.
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 +===== Les représentations de Rousseau herborisant =====
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 +Indépendamment du passage du chant 3 auquel le frontispice de Guérin renvoie, Rousseau est tout de suite reconnaissable par quelques attributs caractéristiques. La gravure s'inscrit en effet dans une tradition iconographique qui remonte à l'année 1778, année de la mort du philosophe à Ermenonville. Cette année-là, le peintre Georges-Frédéric Mayer (1735-1779) aurait réalisé le dernier portrait de Rousseau fait d'après nature, un portrait en pied où le modèle, représenté de profil, tient un bouquet de fleur d'une main, un bâton de l'autre, et un tricorne sous le bras. Cette peinture n'est connue qu'à travers les nombreuses gravures auxquelles elle a donné lieu dans les années suivantes[(Voir Rossella Baldi, "Georges-Frédéric Mayer, ‘Rousseau herborisant’", in //ibid.//, p.\ 193-196\ ; et Rossella Baldi, "‘Laissons tous ces étranges portraits, et revenons à l'original.’ Sentimentaliser l'iconographie de Rousseau", //Revue historique neuchâteloises//, 149/^e^/\ année, n/^o^/\ 3-4, p.\ 241-271.)]. Guérin reprend la pose et les autres éléments de cette image canonique, à l'exception du bouquet de fleur que Rousseau, ici, n'a pas encore cueilli.
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 +{{:rousseauherborisant2.jpg?300 |}}
 +{{::rousseauherborisant.jpg?250 |}}
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 +**"J. J. Rousseau. Et la vüe du Pavillon qu'il habitoit à Ermenonville" \\
 +Vers 1779 \\
 +Gravé par "H." d'après Georges-Frédéric Mayer** \\
 +Gravure aquarellée \\
 +Môtiers, Musée Jean-Jacques Rousseau \\
 +Reproduction\ : Agence Martienne
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 +**"J. J. Rousseau" \\
 +Gravé par Gustav Georg Endner (1754-1824) d'après Georges-Frédéric Mayer \\
 +[Vers 1800]** \\
 +Eau-forte et taille douce \\
 +Neuchâtel, Bibliothèque publique et universitaire \\
 +Rouss Buff 3/8 \\
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 +Guérin n'est pas le premier artiste à représenter l'épisode de la pervenche et il n'est pas le seul à le dissocier du texte des //Confessions//. En 1789, la découverte des pervenches est associée à un autre texte de Rousseau, les //Lettres élémentaires sur la botanique//, qui arbore le frontispice suivant\ :
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 +{{:lettreselementaires.jpg?300 |Lettres élémentaires sur la botanique}}
 +**
 +"Ah, voila de la pervenche" \\
 +Page de titre de Jean-Jacques Rousseau, //Lettres élémentaires sur la botanique//, //s.\ l.//, 1789. \\
 +Gravé par Antoine Cosme Giraud (1760-1840\ ?) d'après un dessin de Clément-Pierre Marillier (1740-1808)** \\
 +Eau-forte \\
 +Neuchâtel, Bibliothèque publique et universitaire \\
 +1R 6260/1 \\
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 +Quoique Rousseau soit ici transformé en une figure allégorique, celle de l'Amour, la fusion d'une activité scientifique et d'une scène sentimentale annonce l'illustration de Guérin. D'autres graveurs du XIX/^e^/ siècle représenteront l'épisode de la pervenche, pour illustrer cette fois //Les Confessions//, soit en s'inspirant manifestement de Guérin, soit en réinterprétant le motif dans une perspective romantique\ :
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 +{{:enmontant.jpg?229 |}}
 +{{:lespervenches.jpg?300 |}}
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 +**"En montant et regardant parmi les buissons, je pousse un cri de joie\ : Ah\ ! voilà de la pervenche\ !" \\
 +1801 \\
 +Gravé par [Jean-Baptiste-Michel] Dupréel d'après Charles-Abraham Chasselat (1782-1800)** \\
 +Eau-forte et taille-douce \\
 +Môtiers, Musée Jean-Jacques Rousseau \\
 +CH 9 \\
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 +**"Les Pervenches" \\
 +1889 \\
 +Gravé par Auguste-Laurent Boulard d'après un dessin de Maurice Leloir (1853-1940)** \\
 +Eau-forte et burin \\
 +Neuchâtel, Bibliothèque publique et universitaire \\
 +Po Rouss Buff 3/39/1/224
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 +===== Liens externes =====
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 +Base iconographique de la Bibliothèque publique et universitaire de Neuchâtel (portraits)\ : [[http://bpun.unine.ch/icono_neuch/moteur_portraits.htm|lien]].
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 Auteur de la page  --- //[[timothee.lechot@gmail.com|Timothée Léchot]] 2017/05/22 17:21// Auteur de la page  --- //[[timothee.lechot@gmail.com|Timothée Léchot]] 2017/05/22 17:21//