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geoffroycompterenduanneelitteraire [2017/10/07 18:11] Nicolas Leblancgeoffroycompterenduanneelitteraire [2017/10/14 19:45] Nicolas Leblanc
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 \\ Exprimet et molles imitabitur aere capillos,  \\ Exprimet et molles imitabitur aere capillos, 
 \\ Infelix operis summâ, quia ponere totum \\ Infelix operis summâ, quia ponere totum
-\\ Nesciet//[(//Id.//, p. 5.)]+\\ Nesciet//[(//Id.//, p. 5. Geoffroy paraphrase ici les vers d'Horace. Voici la traduction fournie par Campenon et Desprès en 1821 : "Un artiste, près de l'école d'Emilius, excelle à rendre les ongles. Il sait donner au bronze la mollesse des cheveux ; mais, inhabile à former un tout, il échoue dans l'ensemble" (Vincent Campenon et Jean-Baptiste-Denis Desprès, //Oeuvres d'Horace//, Paris, 1821,  p. 445).)]
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   * **L'abandon du genre didactique**   * **L'abandon du genre didactique**
  
-Delille est aussi coupable pour Geoffroy d'avoir délaissé le genre didactique, pourtant seul apte à intéresser le destinataire grâce à l'utilité des préceptes qu'il renferme. Geoffroy reproche ici à Delille d'avoir dans les premiers vers du poème **discrètement rejeté le modèle du poème didactique pour celui du poème descriptif** [(Dans ces vers, la voix poétique affirme sa volonté de peindre la nature plutôt que de donner des leçons : "Boileau jadis a pu d'une imposante voix,/ Dicter de l'art des vers les rigoureuses lois;/ Le chantre de Mantoue a pu des champs dociles,/ Hâter les dons tardifs par des leçons utiles :/ mais quoi ! l'art de jouir, et de jouir des champs,/ Se peut-il enseigner ? Non sans doute; et mes chants/ Des austères leçons fuyant le ton sauvage,/ Viennent de la nature offrir la douce image,/ Inviter les mortels à s'en laisser charmer :/ Apprendre à la bien voir, c'est apprendre à l'aimer" (Jacques Delille, //L'Homme des champs//, Strasbourg, Levrault, 1800, p. 33.))]. Comme la plupart des théoriciens de l'époque, Geoffroy rejette le genre du poème descriptif, qui avait été théorisé et défendu par Saint-Lambert dans sa préface des //Saisons// (1769). Selon Geoffroy, le recours au descriptif explique l'allure trop uniformément brillante de l'ouvrage. Seul le poème narratif (l'épopée) peut être une alternative valable au poème didactique en termes de poème long portant sur un sujet noble : +Delille est aussi coupable pour Geoffroy d'avoir délaissé le genre didactique, pourtant seul apte à intéresser le destinataire grâce à l'utilité des préceptes qu'il renferme. Geoffroy reproche ici à Delille d'avoir dans les premiers vers du poème **discrètement rejeté le modèle du poème didactique pour celui du poème descriptif** [(Dans ces vers, la voix poétique affirme sa volonté de peindre la nature plutôt que de donner des leçons : "Boileau jadis a pu d'une imposante voix,/ Dicter de l'art des vers les rigoureuses lois;/ Le chantre de Mantoue a pu des champs dociles,/ Hâter les dons tardifs par des leçons utiles :/ mais quoi ! l'art de jouir, et de jouir des champs,/ Se peut-il enseigner ? Non sans doute; et mes chants/ Des austères leçons fuyant le ton sauvage,/ Viennent de la nature offrir la douce image,/ Inviter les mortels à s'en laisser charmer :/ Apprendre à la bien voir, c'est apprendre à l'aimer" (Jacques Delille, //L'Homme des champs//, Strasbourg, Levrault, 1800, p. 33).)]. Comme la plupart des théoriciens de l'époque, Geoffroy rejette le genre du poème descriptif, qui avait été théorisé et défendu par Saint-Lambert dans sa préface des //Saisons// (1769). Selon Geoffroy, le recours au descriptif explique l'allure trop uniformément brillante de l'ouvrage. Seul le poème narratif (l'épopée) peut être une alternative valable au poème didactique en termes de poème long portant sur un sujet noble : 
  
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-Virgile avoit avec raison préféré aux jardins les moissons, les troupeaux, les vendanges, qui sont d'un intérêt bien plus général ; mais lorsque sa Muse annonce quelque désir de célébrer les jardins, ce sont les fruits, les fleurs, les légumes ; ce sont les plus humbles arbustes auxquels il destine ses chants : le potager, le verger du laboureur, voilà des objets qui le tentent ; il n'eût point dans des vers orgueilleux, vanté les folies des Lucullus, les mers comblées, les montagnes applanies ; le chantre de la simple nature eût cru déshonorer son génie en célébrant les outrages que lui faisoit le luxe dédaigneux du Xerxès romain. L'or prodigué pour l'amusement d'un Midas stupide, est plus fait pour exciter la haine et l'envie, que pour enflammer la verve d'un poète qui sent sa dignité : ainsi, lorsque Delille épuisoit les trésors de son imagination, pour parer des couleurs de la poésie ces parcs magnifique, ces jardins anglais où l'orgueil dominoit encore plus que le goût, il méconnoissoit son art, il avilissoit son talent, et ne laissoit voir en la place d'un favori d'Apollon, qu'un courtisan et un flatteur des heureux de son siècle (1)[(Note de Geoffroy qui renvoie à son compte-rendu des //Jardins//)].+Virgile avoit avec raison préféré aux jardins les moissons, les troupeaux, les vendanges, qui sont d'un intérêt bien plus général ; mais lorsque sa Muse annonce quelque désir de célébrer les jardins, ce sont les fruits, les fleurs, les légumes ; ce sont les plus humbles arbustes auxquels il destine ses chants : le potager, le verger du laboureur, voilà des objets qui le tentent ; il n'eût point dans des vers orgueilleux, vanté les folies des Lucullus, les mers comblées, les montagnes applanies ; le chantre de la simple nature eût cru déshonorer son génie en célébrant les outrages que lui faisoit le luxe dédaigneux du Xerxès romain. L'or prodigué pour l'amusement d'un Midas stupide, est plus fait pour exciter la haine et l'envie, que pour enflammer la verve d'un poète qui sent sa dignité : ainsi, lorsque Delille épuisoit les trésors de son imagination, pour parer des couleurs de la poésie ces parcs magnifique, ces jardins anglais où l'orgueil dominoit encore plus que le goût, il méconnoissoit son art, il avilissoit son talent, et ne laissoit voir en la place d'un favori d'Apollon, qu'un courtisan et un flatteur des heureux de son siècle (1)[(Note de Geoffroy qui renvoie à son compte-rendu des //Jardins//.)].
 \\ Les Géorgiques françaises offrent le même vice dans le choix du sujet, la même confusion dans le dessin, et ces défauts ne sont pas toujours couverts par la même élégance et les mêmes grâces : Delille a dédaigné les travaux rustiques, les dons de Minerve et de Bacchus, les richesses de Cérès et de Pomone; les vrais trésors de la campagne lui paroissent ne convenir qu'à une Muse bourgeoise : ce ne sont point les occupations du laboureur qu'il a prétendu décrire, mais les amusements du riche ; ce ne sont point les bienfaits de l'agriculture qu'il chante, mais ses miracles : des rochers qu'on enlève à coups de canon, des montagnes que l'on perce, voilà ses Géorgique : les présens dont la terre embellit sa surface, n'attirent point son attention ; il va fouiller dans ses entrailles, il compte les couches que son sein renferme, et nous offre en vers rocailleux un cours de minéralogie[(//Id.//, p. 5-7.)].    \\ Les Géorgiques françaises offrent le même vice dans le choix du sujet, la même confusion dans le dessin, et ces défauts ne sont pas toujours couverts par la même élégance et les mêmes grâces : Delille a dédaigné les travaux rustiques, les dons de Minerve et de Bacchus, les richesses de Cérès et de Pomone; les vrais trésors de la campagne lui paroissent ne convenir qu'à une Muse bourgeoise : ce ne sont point les occupations du laboureur qu'il a prétendu décrire, mais les amusements du riche ; ce ne sont point les bienfaits de l'agriculture qu'il chante, mais ses miracles : des rochers qu'on enlève à coups de canon, des montagnes que l'on perce, voilà ses Géorgique : les présens dont la terre embellit sa surface, n'attirent point son attention ; il va fouiller dans ses entrailles, il compte les couches que son sein renferme, et nous offre en vers rocailleux un cours de minéralogie[(//Id.//, p. 5-7.)].   
  
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 ===== Citation 1 ===== ===== Citation 1 =====
  
-Selon Geoffroy, la poésie ne doit pas **chercher son inspiration dans les matières scientifiques**. Le critique manifeste son total désaccord avec la voie empruntée par Delille dans le troisième chant. Citant le Père Vanières et Virgile en exemples, Geoffroy estime que l'homme n'est pas tenu de comprendre les lois de la nature pour en jouir davantage, contrairement à ce qu'écrit Delille au début du troisième chant. Pire les scientifique sont peut-être les hommes du monde qui profitent le moins des beautés de la nature. Selon Geoffroy, Delille sacrifie dans ces vers à la mode du siècle et cherche à plaire à un public féminin, considéré alors comme la principale cible des ouvrages de vulgarisation scientifique :      +Selon Geoffroy, la poésie ne doit pas **chercher son inspiration dans les matières scientifiques**. Le critique manifeste son total désaccord avec la voie empruntée par Delille dans le troisième chant. Citant le Père Vanières et Virgile en exemples, Geoffroy estime que l'homme n'est pas tenu de comprendre les lois de la nature pour en jouir davantage, contrairement à ce qu'écrit Delille au début du troisième chant. Pireles scientifique sont peut-être les hommes du monde qui profitent le moins des beautés de la nature. Selon Geoffroy, Delille sacrifie dans ces vers à la mode du siècle et cherche à plaire à un public féminin, considéré alors comme la principale cible des ouvrages de vulgarisation scientifique :      
  
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 ===== Citation 2 ===== ===== Citation 2 =====
  
-La deuxième citation que Geoffroy donne du chant III est l'occasion d'une nouvelle critique. Cette fois, Geoffroy éreinte le passage dans lequel Delille s'adresse à sa chatte décédée sous prétexte qu'il constitue **un brusque changement de tonalité inconcevable dans un poème sérieux**. Geoffroy se rie de ceux qui font une lecture sentimentale du passage, qui n'est selon lui qu'une plaisanterie badine :+La deuxième citation que Geoffroy donne du chant est l'occasion d'une nouvelle critique. Cette fois, Geoffroy éreinte le passage dans lequel Delille s'adresse à sa chatte décédée sous prétexte qu'il constitue **un brusque changement de tonalité inconcevable dans un poème sérieux**. Geoffroy se rie de ceux qui font une lecture sentimentale du passage, qui n'est selon lui qu'une plaisanterie badine :
      
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-Après s'être enfoncé dans les buissons des sciences abstraites, Delille rentre dans son caractère aimable, et cet étalage d'érudition profonde se termine par des vers à sa chatte: il y est conduit par l'usage où sont les naturalistes d'empailler les animaux: +Après s'être enfoncé dans les buissons des sciences abstraites, Delille rentre dans son caractère aimable, et cet étalage d'érudition profonde se termine par des vers à sa chatte : il y est conduit par l'usage où sont les naturalistes d'empailler les animaux : 
  
 \\ O toi dont la Fontaine eût vanté les attraits,   \\ O toi dont la Fontaine eût vanté les attraits,  
 \\ O ma chère Raton, qui, rare en ton espèce,  \\ O ma chère Raton, qui, rare en ton espèce, 
 \\ Eus la grâce du chat et du chien la tendresse;  \\ Eus la grâce du chat et du chien la tendresse; 
-\\ Qui fière avec douceur et fine avec bonté;  +\\ Qui fière avec douceur et fine avec bonté ;  
-\\ Ignoras l'égoïsme à ta race imputé! +\\ Ignoras l'égoïsme à ta race imputé ! 
 \\ Là je voudrois te voir, telle que je t'ai vue,  \\ Là je voudrois te voir, telle que je t'ai vue, 
 \\ De ta molle fourrure élégamment vêtue, \\ De ta molle fourrure élégamment vêtue,
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 \\ Épier une mouche, ou le rat ennemi, \\ Épier une mouche, ou le rat ennemi,
 \\ Si funeste aux auteurs, //dont// la dent téméraire  \\ Si funeste aux auteurs, //dont// la dent téméraire 
-\\ Ronge indifféremment Dubartas ou Voltaire; +\\ Ronge indifféremment Dubartas ou Voltaire ; 
 \\ Ou telle que ti viens, minaudant avec art, \\ Ou telle que ti viens, minaudant avec art,
-\\ De mon sobre diné solliciter ta part;+\\ De mon sobre diné solliciter ta part ;
 \\ Ou bien, le dos en voûte et la queue ondoyante,  \\ Ou bien, le dos en voûte et la queue ondoyante, 
-\\ Offrir ta douche hermine à ma main caressante;+\\ Offrir ta douche hermine à ma main caressante ;
 \\ Ou déranger gaîment par mille bonds divers,  \\ Ou déranger gaîment par mille bonds divers, 
 \\ Et la plume et la main qui t'adresse ces vers. \\ Et la plume et la main qui t'adresse ces vers.
  
 \\//dont la dent téméraire, etc//. Indépendamment de l'équivoque sur le mot //dont//, ces deux vers font longueur ; c'est une parenthèse qui affaiblit le mouvement de ce morceau.  \\//dont la dent téméraire, etc//. Indépendamment de l'équivoque sur le mot //dont//, ces deux vers font longueur ; c'est une parenthèse qui affaiblit le mouvement de ce morceau. 
-Catulle a célébré le moineau de Lesbie, dans un petit madrigal très galant ; c'étoit un amant qui parloit à sa maîtresse ; mais dans un ouvrage sérieux, dans un poëme didactique, Virgile qui n'oisoit pas occuper ses lecteurs de lui-même, Virgile qui ne se permit jamais la moindre ironie, la plaisanterie la plus légère, eût encore moins osé entretenir le public de sa chatte. La douceur, ou plutôt la foiblesse de nos moeurs, s'amuse de ces familiarités indécentes, dont un siècle plus sévère sur les bienséances auroit fait justice. La bonne compagnie trouve une grâce naïve, et qui pis est, du sentiment, dans ce frivole et puérile badinage[(//Id.//, p. 26-27.)]+Catulle a célébré le moineau de Lesbie, dans un petit madrigal très galant ; c'étoit un amant qui parloit à sa maîtresse ; mais dans un ouvrage sérieux, dans un poëme didactique, Virgile qui n'oisoit pas occuper ses lecteurs de lui-même, Virgile qui ne se permit jamais la moindre ironie, la plaisanterie la plus légère, eût encore moins osé entretenir le public de sa chatte. La douceur, ou plutôt la foiblesse de nos moeurs, s'amuse de ces familiarités indécentes, dont un siècle plus sévère sur les bienséances auroit fait justice. La bonne compagnie trouve une grâce naïve, et qui pis est, du sentiment, dans ce frivole et puérile badinage[(//Id.//, p. 26-27.)].
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